La propriété intellectuelle, chose publique
La propriété intellectuelle, chose publique
Le droit d’auteur n’est pas seulement l’affaire des auteurs, des éditeurs ou de quelques producteurs. C’est le problème de tous. Et donc une vraie question politique.
Le 5 novembre, la vice-présidente de la Commission Européenne, Nelly Kroes, annonçait l’ouverture d’un grand chantier législatif pour « une nouvelle approche du droit d’auteur » : régime des œuvres orphelines, transparence et gouvernance des sociétés de gestion collective, disparité des rémunérations pour copie privée d’un pays à l’autre, nécessité de mettre en place une licence paneuropéenne… La veille, en ouverture d’un colloque organisé par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle sur le thème « faciliter l’accès à la culture à l’ère du numérique », Lawrence Lessig, professeur à Harvard Law School, appelait à la réforme : tout système de copyright qui fonctionne efficacement incite à créer, mais en sauvegardant la possibilité pour les chercheurs de faire leur travail scientifique, pour les amateurs d’accéder aux contenus créés, etc.
Est-ce un hasard du calendrier si deux éminentes autorités, l’une politique, l’autre académique, se prononcent au même moment pour la révision de l’architecture du droit d’auteur à l’ère de la société de l’information ? S’étaient-ils donné le mot ? Probablement pas… et les mauvaises langues diraient d’ailleurs que les règles du droit d’auteur empêchent de toute façon de donner des mots.
Ce sont là deux réactions à un mal contemporain. Si elles sont exemplaires, elles ne sont pas fondamentalement différentes de celles que vous avez déjà pu avoir. En soupirant de devoir accepter une énième licence d’utilisation de ressources en ligne. En grognant au début d’un DVD, alors que vous devez subir les diverses mises en garde du producteur d’un film que vous avez pourtant acquis de façon légitime. En râlant alors que vous vous demandez, une fois encore, si vous pouvez, ou non, réutiliser une image, une chanson ou un texte. En vous animant en discutant avec vos enfants, vos amis, vos collègues, de « propriété intellectuelle », de « copie privée », d’« Hadopi »… autant de mots qui font désormais partie des conversations courantes. Tout ceci est aussi singulier que révélateur.
Tout cela montre aussi que le droit d’auteur n’est plus un cadre juridique technique destiné à réguler les activités économiques d’un nombre d’acteurs limités. Ses normes sont au cœur de nos vies numériques : on s’y heurte pour accéder à l’information ou l’utiliser, à cause d’elles on passe notre chemin… ou on passe outre : le phénomène du téléchargement illégal s’explique en partie par la simplicité qu’offre ce moyen en comparaison de l’accès réglementé aux œuvres.
Le mécontentement va grandissant à mesure que nos activités sociales et culturelles migrent vers les réseaux. Il n’est donc pas près de s’éteindre… Avant qu’une révolte n’éclate, quel parti politique va sérieusement s’emparer de ce problème de société ?