Arret Corbis Sygma - Cour d’appel de Paris, 8 avril 2010
Photomaté !
Le droit de la propriété intellectuelle est fait pour protéger les auteurs. Parfois excessivement. Illustration à la lumière d’une affaire de photographies.
Le 8 avril dernier, la cour d’appel de Paris condamnait l’agence Corbis Sygma à verser plus d’1.500.000 € de dommages-intérêts à l’un des photographes stars qu’elle avait employés. Leur collaboration, commencée en 1987, s’était terminée en 1995 pour motif économique. 750 clichés originaux de l’auteur furent perdus par la suite, ce qui conduit à un procès. Le 8 avril dernier, la cour d’appel de Paris a jugé que l’agence de photos devait verser très exactement 978.375 € en réparation du préjudice matériel subi du fait de la perte, 150.000 € au titre du préjudice moral, et 399.000 € pour contrefaçon (la société a été mise en liquidation judiciaire dans les semaines qui ont suivi).
Comment un éditeur peut-il se retrouver contrefacteur d’un auteur qu’il a employé ? Les règles du droit français prévoient qu’un auteur doit donner son consentement à toute reproduction ou représentation de ses œuvres, support par support. Si un type d’exploitation n’est pas mentionné dans le contrat de cession, elle est présumée n’avoir pas eu lieu.
C’est ainsi qu’il y a une vingtaine d’années on a vu des journalistes français attaquer leurs employeurs qui dupliquaient leurs éditions papier sur minitel ou sur l’alors balbutiant internet. Ils gagnèrent.
Ici notre photographe avait constaté « qu’un grande nombre de ses photographies figuraient sur le site internet de Corbis alors même qu’il n’avait jamais donné l’autorisation de numériser ses œuvres et de les diffuser sur internet et que son contrat de travail ne le prévoyait pas ». Sur le pur plan juridique, la cour ne pouvait qu’entrer en condamnation : le consentement à l’exploitation électronique n’existait effectivement pas.
Un contrat signé en 1987 ne pouvait par définition intégrer un média de communication qui n’a commencé à se populariser qu’à partir du milieu des années 90. Chaque saut technologique fait vaciller les détenteurs de droits, qui sont tenus de renégocier avec les auteurs et sont dépendants du bon vouloir de ces derniers. Dans le cas d’un contrat de travail pourtant, il existe une obligation de bonne foi dans l’exécution, et de loyauté à l’égard de l’employeur.
Dans cet arrêt Corbis, la société a été sanctionnée pour avoir porté des photographies sur internet… et tout à la fois condamnée pour n’avoir pas exploité comme elle l’aurait dû les clichés du demandeur. L’agence indemnise donc l’auteur pour n’avoir pas mieux cherché à tirer profit de ses œuvres, tout en devant payer aussi pour avoir mis les photos en ligne, là où les besoins s’expriment désormais : paradoxal !!
La cour a fait expressément référence à la « perte de chance » du photographe de voir son travail repris et donc de continuer d’en tirer rémunération ; elle a aussi noté que celui-ci n’avait pas donné suite aux « projets de contrats contenant des clauses de cession de droits d’auteur visant la numérisation de ses œuvres ». N’y a-t-il pas une contradiction logique dans un tel raisonnement ?
Aussi réputé soit ce photographe et exceptionnel son travail, le fait que l’indemnisation soit de 399.000 € laisse songeur : c’est beaucoup plus que ce que prononcent en moyenne les juridictions qui statuent sur des accidents de la route mortels. Si la sauvegarde de la propriété est un principe juridique fondamental, la résolution des contentieux de propriété intellectuelle ne doit-elle pas aussi être économiquement raisonnable ?
[paru dans Documentaliste Sciences de l’Information, Septembre 2010, n° 3]